« Le français cache. Il a une énergie qui vient de sa dissimulation. Sous une eau très calme, il y a des courants très forts (… Le français est un puits. Ce sont les mots les plus simples, ceux qui ont l’air de rien, qui en savent le plus. Comme cet extraordinaire mot de « personne » en français. Là où les langues en savent le plus, c’est dans les mots ambivalents, réversibles, car dans la réversibilité est l’énergie, dans la zone du neutre, du retournement, du point vide… là est la force. » , dit Novarina dans une de ses conférence.
Pour lui la force du français vient donc de ce que cachent ses mots. Pour atteindre ces flux sous-jacents, il faut étudier la philologie, l’étymologie, creuser leur origine.
Le mot « personne » qu’il donne en exemple a cette force. Il vient du latin « personna » qui signifie le « masque » et pourtant il désigne ce qu’il y a de plus irréductible dans un individu humain, de plus singulier, de moins communicable.
La même racine se retrouve dans « personnage ». Mais être un personnage, est-ce être soi-même ? Beaucoup voudront faire « tomber le masque » parce qu’il voilerait, cacherait, mentirait. Au contraire le philosophe allemand Nietzsche considérait que le masque révélait qui le portait, que la vérité de l’être ne pouvait s’exprimer que par le masque. « Tout esprit profond avance masqué« , écrivait-il. Ou encore : « Tu dois devenir l’homme que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même. »
Per sonare : sonner à travers… dans le théâtre tragique antique, le souffle de l’acteur sonnait à travers un masque…
« Tout ce qui est profond aime le masque ; les choses les plus profondes de toutes ont même en haine image et symbole […] Il y a des procédés d’un genre si délicat que l’on est bien inspiré de les ensevelir sous une grossièreté pour les rendre méconnaissables ; il y a des actes d’amour d’une générosité débordante à la suite desquels il n’y a rien de plus recommandable que de se saisir d’un gourdin et d’en rosser le témoin oculaire : on lui brouillera ainsi la mémoire. Plus d’un est passé maître dans l’art de brouiller et de brutaliser sa propre mémoire pour se venger du moins de cet univers complice – la pudeur est inventive […] il n’y a pas que la ruse perfide derrière un masque […] – il y a tant de bonté dans la ruse […] (un homme qui a de la profondeur dans sa pudeur) et fait en sorte qu’un masque à son effigie vagabonde à sa place dans la tête et le cœur de ses amis […] (même s’il ne le veut pas, cet homme découvrira) que c’est malgré tout un de ses masques qui s’y trouve […] Tout esprit profond a besoin d’un masque […] un masque pousse continuellement autour de tout esprit profond, du fait de l’interprétation constamment fausse, à savoir plate, de toute parole, de tout signe de vie émanant de lui. » [Nietzsche]
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Une analyse intéressante glanée sur un blog au sujet de ce que dit Nietzsche sur le masque dans son livre Par-delà le bien et le mal :
40 – Masque et profondeur
Tout homme profond porte un masque, à la fois par pudeur et pour se protéger des fausses interprétations.
Par nature les choses profondes aiment à être dissimulées. Dissimulation et même contradiction (ou « contraste ») sont les vertus que l’on peut attendre d’un dieu.
Question de pudeur : action de cacher une qualité ou un bien considéré comme précieux, fragile, et surtout intime.
Paradoxe : la grossièreté même peut être une forme de pudeur, un signe de profondeur. Cela signifie justement qu’on ne saurait exprimer correctement les choses les plus intimes, c’est un signe de lucidité. Il faut savoir interpréter cela.
La pudeur est inventive : le masque est toujours une invention, une création un art.
Il y a de la bonté dans la ruse : parce que la transparence n’est pas aussi sincère, aussi bonne, aussi morale qu’on pourrait le croire. Le masque possède la vraie bonté de la générosité, c’est-à-dire de l’invention, de la subtilité dans la prise en considération d’autrui. Pourquoi le maquillage en général ? Parce que le « naturel » n’est lui-même qu’un leurre, une convention inavouée, une apparence comme les autres ! Une interprétation parmi tant d’autres.
Le masque est une manière de se montrer, en se dissimulant : il y a quand même volonté d’offrir une apparence.
Mais d’autre part c’est aussi une dissimulation nécessaire, une façon de brouiller les pistes pour ceux dont la vie est un péril assumé à force d’autonomie. Celui qui se fait esprit librejour avec la vie, ne l’oublions pas.
Tout homme profond désire le masque, même s’il ne le sait pas, parce qu’il porte un masque depuis toujours ! Il n’y a pas d’autre réalité que l’apparence, n’oublions pas cela !
A la limite le masque se fabrique sans nous, sans notre intervention consciente ; le masque n’a pas besoin du sujet.
A la fin du passage, l’auteur suggère que le masque se module, se dessine tout seul au fur et à mesure des interprétations fausses qu’il suscite. Donc il n’y a pas de visage derrière le masque ?
http://apprendre-la-philosophie.blogspot.com/2011/06/explication-de-par-dela-bien-et-mal.html